Créer un site internet

Lotophages

barbaraburgos Par Le 18/02/2021 0

Dans Février 2021

J'ai oublié mes clés, je ne sais pas où elles sont mais je sais qu'elles existent. Je me souviens encore d'elles en tant qu'objet, de leur utilité. Donc l'oubli n'est pas radical, oublier c'est encore se souvenir que quelque chose existe, a existé.
J'ai oublié beaucoup d'événements de mon passé, pourtant je ne suis ici que parce que je suis passée par là. Si j'avais choisi le chemin B au lieu du A, où serais-je aujourd'hui ?
Dans une rue de Brest à me rappeler la pluie qui tombait sans cesse ce jour là ?
Sur l'île des Lotophages à croquer les fruits de miel pour oublier mon âge ?
Peut-on voyager sans bagage et ne pas perdre la raison ? Qu'est devenu Gaston, lui qui voyageait sans ? Je ne m'en souviens pas.
Je me posais la question en tentant de me remémorer où j'avais bien pu laisser ces fichues clés puis me lançai dans une quête du Graal, une tentative désespérée pour retrouver le bout de métal. Et non, je ne composerai pas le 06 de Lacan, ni ne m'allongerai sur un divan à scruter mon inconscient.
-Inconscient toi-même, vociféra Jean-Sol.
-Un peu de retenue tout de même M. Partre, inconscient n'est pas une insulte ! Si vous alliiez vos théories plutôt que de vous tirer dans les pattes constamment, vous en sortiriez grandis (même si j'avoue que c'est pas acquis, il est tellement petit!).
-Je ne vais pas répéter ce que j'ai mille fois écrit. L'homme n'est que par ses actes et entièrement responsable de son existence, il est libre de se détacher de son passé, de choisir son présent et d'envisager son avenir.
- Oui, et la femme ? Et n'est-ce pas parfois un peu réducteur ? Il est des histoires de vie plus compliquées que d'autres. Vous dans votre microcosme d'intellectuels parisiens vous avez été épargné.
- Certes, certes. Mais pourquoi faire appel sans cesse à moi, oubliez-moi et laissez-moi reposer en paix.
- Je peux choisir de vous oublier mais je saurais quand même que vous avez existé, j'ai des livres de vous dans ma bibliothèque
- Bon moi depuis que je suis allongé dans ce carré avec Simone, j'ai renoncé à la philosophie. On s'adonne maintenant aux joies simples de l'éternité. Un petit coup de blanc et en avant Guigamp, moi je conduis, elle klaxonne.
-Hé bien, j'en apprends de bonnes ! Donc vous ne voulez pas m'aider dans ma fumeuse théorie ?
-Non et je ne crois pas à la vie après la vie. Je n'existe plus, à part dans votre tortueuse imagination.
- Ah ! La mémoire me revient, je n'ai pas perdu mes clés, je les ai simplement jetées, je ne supportais plus d'être enfermée !
-Vous m'amusez finalement, revenez quand vous voulez, nous rediscuterons de l'oubli et je vous donnerai des clés pour décrypter mes théories.
-Une clé de Jean-Sol en somme.
-Oui mais sans faire la sieste.
-Si vous devenez aussi tordu que moi dans le détournement des mots, on s'en sortira pas.
-Oh mais ça je le sais déjà que je n'en sortirai pas de là où je suis, alors un peu plus, un peu moins, tant pis!

J'ai finalement pris la clé des champs pour faire un tour dans le présent puis la clé des songes pour éclairer mes nuits, et les clés de métal, je les ai jetées au fond du puits.

 
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

Anti-spam