Articles de barbaraburgos
Lotophages
J'ai oublié mes clés, je ne sais pas où elles sont mais je sais qu'elles existent. Je me souviens encore d'elles en tant qu'objet, de leur utilité. Donc l'oubli n'est pas radical, oublier c'est encore se souvenir que quelque chose existe, a existé.
J'ai oublié beaucoup d'événements de mon passé, pourtant je ne suis ici que parce que je suis passée par là. Si j'avais choisi le chemin B au lieu du A, où serais-je aujourd'hui ?
Dans une rue de Brest à me rappeler la pluie qui tombait sans cesse ce jour là ?
Sur l'île des Lotophages à croquer les fruits de miel pour oublier mon âge ?
Peut-on voyager sans bagage et ne pas perdre la raison ? Qu'est devenu Gaston, lui qui voyageait sans ? Je ne m'en souviens pas.
Je me posais la question en tentant de me remémorer où j'avais bien pu laisser ces fichues clés puis me lançai dans une quête du Graal, une tentative désespérée pour retrouver le bout de métal. Et non, je ne composerai pas le 06 de Lacan, ni ne m'allongerai sur un divan à scruter mon inconscient.
-Inconscient toi-même, vociféra Jean-Sol.
-Un peu de retenue tout de même M. Partre, inconscient n'est pas une insulte ! Si vous alliiez vos théories plutôt que de vous tirer dans les pattes constamment, vous en sortiriez grandis (même si j'avoue que c'est pas acquis, il est tellement petit!).
-Je ne vais pas répéter ce que j'ai mille fois écrit. L'homme n'est que par ses actes et entièrement responsable de son existence, il est libre de se détacher de son passé, de choisir son présent et d'envisager son avenir.
- Oui, et la femme ? Et n'est-ce pas parfois un peu réducteur ? Il est des histoires de vie plus compliquées que d'autres. Vous dans votre microcosme d'intellectuels parisiens vous avez été épargné.
- Certes, certes. Mais pourquoi faire appel sans cesse à moi, oubliez-moi et laissez-moi reposer en paix.
- Je peux choisir de vous oublier mais je saurais quand même que vous avez existé, j'ai des livres de vous dans ma bibliothèque
- Bon moi depuis que je suis allongé dans ce carré avec Simone, j'ai renoncé à la philosophie. On s'adonne maintenant aux joies simples de l'éternité. Un petit coup de blanc et en avant Guigamp, moi je conduis, elle klaxonne.
-Hé bien, j'en apprends de bonnes ! Donc vous ne voulez pas m'aider dans ma fumeuse théorie ?
-Non et je ne crois pas à la vie après la vie. Je n'existe plus, à part dans votre tortueuse imagination.
- Ah ! La mémoire me revient, je n'ai pas perdu mes clés, je les ai simplement jetées, je ne supportais plus d'être enfermée !
-Vous m'amusez finalement, revenez quand vous voulez, nous rediscuterons de l'oubli et je vous donnerai des clés pour décrypter mes théories.
-Une clé de Jean-Sol en somme.
-Oui mais sans faire la sieste.
-Si vous devenez aussi tordu que moi dans le détournement des mots, on s'en sortira pas.
-Oh mais ça je le sais déjà que je n'en sortirai pas de là où je suis, alors un peu plus, un peu moins, tant pis!
J'ai finalement pris la clé des champs pour faire un tour dans le présent puis la clé des songes pour éclairer mes nuits, et les clés de métal, je les ai jetées au fond du puits.
De bon heur
Mer de brume matinale
Les vignes un peu bancales
Un rapace quelques souris
Dans ce temps imparti
Rayons obliques d'ultra-violets
Filtrés par les nuages
L'horizon hypothétique deviné
Dans ce naissant paysage
Une chapelle romane
Des ronces sur le chemin
Dans un pré deux ou trois ânes
Savoir aller plus loin
Effacer les goutelettes en suspens
Voir briller le disque incandescent
Dépasser l'épais brouillard
Et serein goûter l'espoir
Beau temps ?
Il fait bleu, il fait vent
Et le souffle d’Éole s'engouffre dans les blousons
Un jour sans école, les mystères de la création
Il fait bleu, il fait vent
Des mots d'enfant
Et les fleurs chinoises s'envolent plus loin vers l'horizon
Il fait bleu, de l'eau salée, des embruns, paroles sibyllines
Il fait vent, brise marine
Incompréhension de l'enfant
Face à l'incrédulité des grands
Il écarquille ses deux yeux
Il fait pourtant beau temps
Dans les allées du bon dieu
Désolée mon enfant, je crois plus au vent et au bleu
Qu’au royaume des cieux
Et du mystère de la création
J'ai résolu la question
Ah bon!
Classé X
J'ai des complexes, je suis perplexe à la lecture de mes textes. Pourtant je continue chaque jour à exfiltrer des méandres filandreux de mon expectatique cerveau, des mots, à en extraire des idées, à exploiter mes idéaux ex abrupto.
J'extrapole du nord au sud, j'exulte et s'exhalent de mon myocarde extatique des sentiments extravagants, d'exquises inclinations. J'expérimente d'indiscrètes sensations, une exégèse sans réelle explication. J'exagère dans le mystère, une attitude sibylline, préserver sa part intime ?
Ex-voto virtuel en rime, exploiter ses maux en mots pour extirper la substantifique moelle de l'existence. J'excelle dans le doute existentiel mais l'important n'est-il pas d'avoir des tourments excessifs ? Ne pas se contenter de l'approximatif. Sentir battre le palpitant, s'exalter avec candeur, exiger le meilleur même quand le monde ne tourne pas rond à l'extérieur, qu'il ne fournit pas toutes les explications.
Se laisser désaxer par les lois de l'attraction et savoir se poser sans exaspération. Carpe diem avant l'extrême onction !
N.B: certains mots ne sont pas exacts mais se sont laissés détourner pour l'exercice !
Oubliettes
Je ne voudrais pas oublier
La douceur de ta peau
La pluie sur les carreaux
En ce soir de janvier
Je ne voudrais pas oublier
Tes bras autour de moi
Le soleil qui brillait
En ce mois de juillet
Je ne voudrais pas oublier
La caresse de tes mots
Le vent dans les chéneaux
Aux petits matins de mai
Je ne voudrais pas oublier
Mais le temps abandonne
Les souvenirs secrets
Aux premiers jours d'automne
Il les range plus loin
Et poursuit son chemin
Les laisse s'effacer
Pour espérer demain
Patience et longueur de temps...
Prendre son mal en patience
Quelle drôle d'expression
Assignée à résidence
En quête d'explications
Je compte les billets d'absence
Cherche réponse à la question
Dans le sillon de mes errances
Hypothétiques solutions
Mais l'écho sourd du silence
Anéantit mes ambitions
A la lueur de mes espérances
Dansent des points d'exclamation
Prendre son mal en patience
Une intime conviction
Assignée à résidence
En quête d'inspiration
Je contemple mon ignorance
Emets des suppositions
Dans le flot de réminiscences
Halos d'illumination
Mais trop peu de résonnance
Pour nourrir mes illusions
A la lueur de mes errances
Dansent des points de suspension
Expressionnisme
J'ai un petit pois sous mon matelas, c'est peut-être pour ça que je ne dors pas
J'ai un caillou dans ma chaussure, difficile de marcher droit
J'ai le compas dans l’œil, ça m'empêche d'y voir clair
Je suis souvent à côté de la plaque, je confonds aujourd'hui et hier
Je n'aime pas la barbapapa, ce n'est pas une expression c'est un fait
Je passe du coq à l'âne, mais aucun des deux ne me satisfait
J'écris comme je respire, ça ce serait mentir
J'en vois des vertes et des pas mûres, je n'en fais pourtant pas de la confiture
Et quand je ne tourne pas rond, il me vient des questions sur les racines carrées
Ou bien je prends la tangente pour partir à Tanger
Mais je ne suis jamais allée à Tanger et la tangente je ne sais pas ce que c'est
Alors je reste plantée là, avec mes racines carrées, mes questions
Et une crainte pour Cendrillon
Est-ce désormais à 18 heures qu'elle se change en potiron ?
A moitié vide
Pas facile de trouver de la poésie dans chaque jour quand la mosaïque des horreurs humaines s'affiche devant nos yeux.
"Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien" disait Pierre Desproges. Aujourd'hui, je songe à en adopter un.
Pas facile de se laver les yeux et les oreilles, de ressortir indemne d'une journée de dur labeur passée à aider ses semblables.
Semblable toi-même, l'entends-je me souffler. Mais les mots sont verrouillés, les doigts paralysés sur le clavier.
La magie d'un rayon de soleil couchant sur les sommets enneigés, la rencontre d'un faisan serein sur le bord de la route n'auront su me distraire de ces ignominies.
Les belles plumes, élevées puis lâchées pour quelques heures de liberté, se feront tirer demain par des chasseurs bedonnants.
Les glaciers finiront par fondre précipitamment provoquant une montée subite des océans et l'anéantissement de l'ère du vivant.
"Plus je connais les femmes, moins j'aime ma chienne". Sacré Pierrot, toujours le mot pour rire.
"Quant au mois de mars, je le dis sans aucune arrière-pensée politique, ça m'étonnerait qu'il passe l'hiver".
Heureusement on est en février
Ligne d'horizon
Montagne bleue
A l'horizon
Ligne de tes yeux
Haute tension
Arbres inertes
A l'encre de Chine
Tableau sous la bruine
Vue d'une fenêtre
Une lucarne contemplative
Loin des néons
Une digression méditative
Pour s'échapper d'une réunion
Montagne bleue
A l'horizon
Loin de tes yeux
Baisse de tension
Arbres inertes
Par la fenêtre
Une île déserte
A l'encre de Chine
La pensée chemine
Entre les néons
Grande évasion
Par le faux plafond
Le vin bourru
"Le déchet n'existait pas encore, ni la poubelle, ni le ramassage des ordures [...]
Rien ne se jetait. Toute boîte de conserve vide s'emplissait de graines, ou de boutons, ou d'appâts pour la pêche. [...]
L'idée même de jeter -mais jeter quoi ? et où ? -eût semblé absurde. "
J'ai connu les miettes de ce temps ancien, où les femmes allaient faire les commissions à l'épicerie avec un filet à provisions.
J'ai connu les cabanes de jardin ou les caves avec des boîtes de conserve remplies de clous ou de ficelle.
Rien ne dure mais tout recommence.
Après l’ère du tout jetable, nous revenons à l'ère zéro déchet. Pourtant il est difficile de freiner cette frénésie de surconsommation, d'autant plus qu'elle ne s'est pas arrêtée aux objets, elle a atteint les relations humaines. Un nouveau vocabulaire pour faire d'un coup de cœur un "like" en mode "swipe" et tout un lexique d'anglicismes pour décliner les dérives tordues d'humains déviants.
Plus de bonjour ni d'au-revoir en signe de politesse, de respect entre mammifères éduqués.
Salue-t-on un sac plastique, un pot de yaourt ou un mégot de cigarette ? Non, on le laisse choir, on l'écrase du bout du pied sur le trottoir, il partira dans le caniveau balayé par un jet d'eau.
Non ce n'était pas forcément mieux avant. C'était sûrement mieux caché.
Mais les mots et les pensées me font aussi dériver du sujet initial, ça ne me vaut rien d'écouter les infos.
"Un million de choses à dire de la vie, très peu de la mort. Personne ne sait bien en parler, pas même le curé avec ses histoires de vie éternelle, qui passent au-dessus des têtes.[...]
" Là où il est maintenant", disait-on. Mais il n'est nulle part, on le sait bien, il est simplement mort, comme d'autres avant lui, et d'autres après.
On le mettra demain au cimetière, dans son caveau, là où il a toujours su qu'il finirait, chez lui".
Le vin bourru, Jean-Claude Carrière (1931-2021)