L'homme qui danse

Je garde l'image foudroyante de ce café parisien

De lustres démodés aux pampilles de cristal
De miroirs écorchés aux dorures d'airain
De fumée de Havane dans un souffle détaché
Mais déjà planent les fantômes des masques oubliés

L'avenue outrancière aux branches de lumière
Diffuse son brouhaha malgré la devanture
La porte tambour scande une cadence absurde
La jeune fille au bar n'attend rien ni personne
Une désinvolture à peine signifiée
Elle affiche un sourire en caressant son verre
Des chandeliers factices diffusent une couleur jaune
Dans l'espace sonore les cordes d'un violoncelle
Le détail est probable en tenue de cocktail

L'homme au visage nu et en chemise blanche
Avait connu les fastes des palais vénitiens
Costumes extravagants et masques d'Arlequin
Divinité déchue d'un astre flamboyant
Il s'assied à une table un fauteuil en velours
Les accoudoirs sont rouges le style séculaire
Le serveur se présente il commande une bière
Puis agite ses doigts ne sait plus trop que faire
Il prend un air comique et se trouve distrait
La jeune fille pourrait bien laisser choir son briquet
Une ruse désuète pour une scène hypothétique
A défaut de cigarette une tirade enflammée
Au pied d'une chaise étrusque symbole mythologique

Et puis un grondement le tonnerre fait son entrée
Le parquet se fissure ce n'est plus un orage
C'est une apocalypse l'anéantissement de ces corps illusoires
Les masques se réveillent marchent sur les décors
Ils reviennent souverains vivants parmi les morts
La jeune fille vacille et la flamme factice du chandelier s'éteint
L'espace imparti retrouve ses limites
Les costumes d'Arlequin perdent de leur splendeur
Le crayon noir souligne le regard de l'acteur
Une dernière fois dans une étreinte folle désespérée
Il veut croire à ce rôle à ce projet insensé
Les masques cachent les zones d'ombre
Un discours d'initiés un délicieux grimoire

Et la page de cent ans de mémoire se tourne avec fracas
La porte tambour accélère sa rotation
Les voitures s'engouffrent dans la brèche
Suivant les lois de la gravitation
Est-ce la fin de la jeunesse ce début d'illusions ?
La faille du temps ouvre la voie de la sagesse
Les fantômes sont libérés et les masques vont tomber
Chacun ramasse ses cliques et ses claques
Ses clés son portefeuille et ses souliers

Il reste sur les planches les ruines mythologiques
D'une chaise symbolique aux contours évanescents
Et dans le silence liturgique de ce théâtre incandescent
J’aperçois un bout de corde une sorte de filin une ficelle
Mais soyons réalistes
Aucun alchimiste n'a transformé le plomb en or
Il ne se peut pas c'est une évidence
De voir par transparence une pampille en cristal
Il ne se peut pas c'est un postulat
D'admirer la magnificence de ce lustre aux mille éclats
A travers un bout de ficelle une sorte de corde en lin
A moins d'être marabout sorcier vaudou prophète ou devin
Détenteur de formules incantatoires instigateur de magie noire

Pourtant je me souviens aujourd’hui comme hier et comme demain
D'avoir vu dans ce théâtre une scène en manteau d'Arlequin
Chaise étrusque tapis persan une échelle dans un coin
Et le silence effrayant de ces pieds nus sur le plancher
Un savant jeu de lumières le décor était planté
Il avait fait apparaître avec ce bout de corde en lin
Les Champs-Élysées l'Arc de Triomphe la Tour Eiffel
La beauté de la jeune fille un paradis artificiel
Dans lequel je me perdais avec délice
Ne sachant plus à quelle entité me vouer
Croire en Dieu croire au Malin ?

J'ai vu l'homme qui danse une ficelle dans ses mains

Je garde l'image foudroyante de ce café parisie

Date de dernière mise à jour : 16/01/2021

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